Le graphisme est une question d’images, mais il est surtout une question de processus donnant naissance aux images. Autant que le résultat final, le processus mis en œuvre — l’expérimentation, l’intérêt et le sens des images — est primordial.
La Villa Hermosa est un studio de graphisme belge, issu de la rencontre de deux adorateurs des images, dessinées pour le premier, numériques pour le second. Leur collaboration est relativement étonnante tant leurs bagages diffèrent, mais leurs différences s’avèrent complémentaires. Pierre-Philippe Duchâtelet et Lionel Maes portent tous deux le même goût pour les rencontres et pour les processus de création inventifs. La rencontre avec un commanditaire, un ami, un client, est chaque fois l’occasion d’une ouverture sur un autre univers, sur une autre pensée, et l’occasion de définir ensemble un projet, ses enjeux, ses ressources et ses limites. L’expérimentation, chère au studio, aboutit à la construction d’un univers commun et partagé entre les personnes impliquées. Le résultat, quel qu’il soit, n’est pas une finalité en soi, mais un aperçu de la rencontre et des expérimentations communes, supposé comme la première étape d’une collaboration durable, ouverte elle-même à d’autres projets et à d’autres rencontres. Dans cette même logique de rencontre, les graphistes ont envisagé leur site Internet comme un moyen de documenter les échanges qui ont eu lieu pour chaque projet. Ils ont également effectué dernièrement les premières portes ouvertes de leur atelier, a fin d’exposer et de raconter leur travail.
La Villa Hermosa a réalisé le générique du film After Empire — episode 1 de l’artiste Herman Asselberghs, produit par le collectif Auguste Orts. After Empire développe une réflexion à partir d’un événement historique majeur: la plus grande manifestation de l’Histoire, la manifestation mondiale contre la guerre en Irak du 15 février 2003. Le film présente un ensemble de vidéos issues de différentes sources et filmées avec différentes caméras pendant et après l’événement. Pour en constituer le générique, le studio s’est basé sur la qualité des images filmées, fortement pixellisées, floues, presque indiscernables. Les graphistes se sont attaqués physiquement à l’image: un aimant appliqué sur un téléviseur à tube cathodique dévie la trajectoire des électrons et déforme considérablement l’image à l’écran. Le processus mis en place reproduit les défauts analogiques et brouille la typographie de titrage. La police de caractères utilisée pour ce projet est la Linux biolinum, en relation directe avec le titre du film et les pierres de l’ancien Empire romain qui étaient gravées d’une typographie similaire. Les noms du générique apparaissent et disparaissent dans un mouvement saccadé, identique à celui du cumul des différentes sources qui forment le film.
Pour l’identité du bureau d’architecture Specimen, la Villa s’est d’abord penchée sur le sens que les architectes plaçaient derrière leur nom. Selon eux, un spécimen correspond à un module autour duquel peut se composer une recherche et une structure. Pour le studio, le spécimen renvoie à la recherche scientifique, un échantillon, l’indice d’un ensemble, d’un organisme. De cette idée de modularité et d’organisme, les graphistes se sont orientés vers l’équation de réaction-diffusion du scientifique GrayScott, simulant la réaction et la diffusion de deux éléments chimiques entre eux. Cette expérience permet, en variant la fréquence de diffusion de l’un ou l’autre élément, de produire des motifs plus ou moins complexes. L’équation a été formalisée à plusieurs reprises sous forme d’algorithmes informatiques, notamment par Karsten Schmidt. Le studio a développé une typographie et une matière à partir des algorithmes de Schmidt sur Processing. Le système génère des résultats, autrement dit le graphisme est évolutif et autonome. Le résultat est une mutation baroque du caractère District thin et un ensemble de motifs bactériologiques.
La Villa Hermosa s’est également occupée du site Internet de l’artiste belge Alec De Busschère. L’objectif du site est de montrer la structure du travail de l’artiste et les liens qui se tissent entre ses oeuvres. Inspiré de travaux comme Visual Poetry 06 de Boris Müller ou de Skycatcher Wallpaper de Luna Maurer et Jonhatan Puckey, le site dynamique produit une forme générative à partir des données, évoluant au gré des mises à jour. Les travaux sont réunis par familles selon des liens établis par l’artiste. Chacune de ces familles forme un ensemble de cercles imbriqués dont le diamètre varie selon le nombre d’oeuvres qu’elle contient. Chaque oeuvre est représentée par un point, disposé dans le cercle selon les liens qu’il entretient avec les autres. Cette structure s’organise autour d’un élément central, le parent de la famille, celui vers qui les autres travaux se rapportent par filiation.
Lionel et Pierre-Philippe se sont rencontrés sur les bancs de l’Erg, école supérieure d’art de Bruxelles. Leur premier contact a été une brève conversation sur Brooklyn Zoo d’Ol’ Dirty Bastard. Par la suite, ils ont eu d’autres conversations, sur Robert Wyatt notamment. Ils ont cohabité au 10 rue Villa Hermosa à Bruxelles durant deux années de leurs études, période pendant laquelle ils ont commencé à travailler ensemble sur leurs travaux scolaires et extrascolaires. Lionel aime boire du vin, écrire en buvant du vin, Curtis May field, Wire, Philip K. Dick, Ben Fry, Daniel Clowes et Claude Pieplu. Pierre-Philippe voulait créer un label de musique, faire des pochettes de disque et des films d’animation. Il aime les affiches d’Harmen Liemburg, Eric B et Rakim, Wolfgang Weingart, Raymond Pettibon, Luna Maurer, M/M, Kevin Spacey et Betty Davis.
B.B.
(parution en février dans le magazine Advanced Creation)